Par Bernard Sécher le jeudi 6 juillet 2017, 19:13 – ADN ancien

En Alsace, dans l’Est de la France, la culture Néolithique de la céramique linéaire donne naissance à plusieurs cultures distinctes au Néolithique Moyen: la culture de Hinkelstein (4790 à 4730 av. JC.), la culture de Grossgartach (4730 à 4620 av. JC.), la culture de Roessen (4620 à 4460 av. JC.) et les cultures de Bischheim et de Bruebach-Oberbergen à la fin du 5ème millénaire av. JC. Les cultures de Grossgartach et de Roessen ont fait l’objet d’une précédente étude d’ADN mitochondrial ancien sur le site d’Obernai. Les résultats avaient alors montré une continuité génétique depuis la culture de la céramique linéaire en Europe Centrale. Autour de 4400 av. JC., la culture de Michelsberg apparait entre le Centre de l’Allemagne et le bassin Parisien. Les données archéologiques privilégient une origine de cette culture dans le bassin Parisien. Un premier site de cette culture a déjà été étudié génétiquement: celui de Bruchsal-Aue en Allemagne de l’Ouest. Cependant son faible nombre d’échantillons ne permettait pas de conclure, bien que les fréquences des haplogroupes mitochondriaux se rapprochaient de celles des sites de l’Europe Centrale.

De manière intéressante, les changements archéologiques apportés par la culture de Michelsberg incluent la céramique mais également les pratiques funéraires dans des fosses circulaires. Ces fosses sont distinguées selon la position des squelettes suivant un schéma conventionnel où les sujets sont placés sur le côté, les membres supérieurs et inférieurs regroupés, et un schéma non conventionnel où les corps semblent avoir été jetés sans aucun ménagement dans la fosse. Les inhumations peuvent être individuelles ou multiples. Notamment une inhumation multiple peut contenir les deux schémas: conventionnel et non conventionnel. Ces différences de traitement posent la question du statut social de ces individus: relégation ou dépossession de certains individus, meurtres rituels ou sacrifices humains, …

Le site de Gougenheim en Alsace est un site clef dans le débat sur l’origine de la culture de Michelsberg et sur la signification des positions mortuaires. La fouille de 2009 a permis de mettre au jour 30 fosses circulaires contenant 46 individus entre 4100 et 3500 av. JC. 13 squelettes sont dans une position conventionnelle et 27 dans une position non conventionnelle.

Alice Beau et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Multi-scale ancient DNA analyses confirm the western origin of Michelsberg farmers and document probable practices of human sacrifice. Ils ont analysé l’ADN mitochondrial et du chromosome Y de 22 individus du site de Gougenheim: la région mitochondriale HVR1 a été séquencée, puis 18 SNPs mitochondriaux et 10 SNPs du chromosome Y ont été testés.

21 résultats mitochondriaux ont été obtenus dont 18 séquences HVR1. Cependant aucun résultat du chromosome Y n’a été obtenu:
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Les résultats obtenus sont très divers. Ils incluent les haplogroupes H, J, K, N1a, T, W, X et U5. Les résultats de Gougenheim ont été ensuite fusionnés avec ceux de Bruchsal-Aue, puis comparés avec des résultats préalablement obtenus en Europe entre 14500 et 2600 av. JC.:
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Dans la figure ci-dessus le code couleur correspondant à l’âge des échantillons est précisé dans la figure ci-dessous:
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Notamment les chasseurs-cueilleurs sont en gris.

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales basée sur les fréquences des différents haplogroupes:
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Les résultats montrent d’abord que la diversité mitochondriale de la culture de Michelsberg (en vert ci-dessus) correspond bien à la diversité des groupes du Néolithique en Europe. Cependant, la figure ci-dessus montre une certaine discontinuité génétique avec le site d’Obernai (RSG) des cultures précédentes en Alsace. En effet le site de Gougenheim se rapproche des échantillons de chasseurs-cueilleurs et du site Néolithique de Gurgy (MNF en rose ci-dessus) dans le bassin Parisien, alors que le site d’Obernai est proches des cultures d’Europe Centrale (LBK). Ainsi la résurgence de l’ascendance de chasseurs-cueilleurs semble se produire plus tôt en France qu’en Europe Centrale où celle-ci est évidente seulement à partir de la culture de Bernburg vers 3100 av. JC. Il est cependant probable que l’augmentation d’ascendance chasseur-cueilleur en Alsace viennent indirectement via les sites Néolithiques du bassin Parisien.

De manière intéressante, les deux groupes de Gougenheim en position conventionnelle et non conventionnelle présentent des fréquences d’haplogroupes différentes (voir figure B tout en haut). Notamment le groupe conventionnel montre de hautes fréquences des haplogroupes H et X alors que le groupe non conventionnel montre de hautes fréquences des haplogroupes N1a, U5 et T. Ces résultats peuvent refléter des différences entre groupes voisins ou entre maîtres et esclaves, ce qui pourrait corroborer l’hypothèse des sacrifices humains à Gougenheim.