Retour vers l’Afrique

Jason A. Hodgson vient de publier un papier intéressant: Early Back-to-Africa Migration into the Horn of Africa.

Le plus important événement démographique de l’espèce humaine moderne est sa sortie d’Afrique et ses migrations sur Terre. A la suite de cette sortie, les échanges démographiques entre l’Afrique sub-saharienne et le reste du globe sont rares. Les populations de la corne de l’Afrique (Ethiopie, Érythrée, Djibouti, et Somalie) ont une ascendance non Africaine qui n’est pas négligeable. Les précédentes études génétiques ont montré que certaines de ces populations parlant une langue couchitique ou sémitique, ont entre 30 et 50% d’ascendance non Africaine datant principalement d’environ 3000 ans. Cette date correspond environ à l’origine des langues Ethiosémitiques et à des restes archéologiques datant du premier millénaire av. JC. Cependant des recherches archéologiques plus récentes ont montré que les influences non Africaines dans la corne de l’Afrique étaient limitées et transitoires, et ne pouvaient expliquer de larges mouvements de population. Les analyses de l’ADN mitochondrial et du chromosome Y suggèrent des migrations non Africaines dans la corne de l’Afrique plus anciennes. L’haplogroupe mitochondrial M1 indique un retour vers l’Afrique il y a 20 ou 30.000 ans, les haplogroupes mitochondriaux N1a et N2a supposent des migrations datées entre 15 et 20.000 ans, et certaines branches des haplogroupes mitochondriaux HV1 et R0a suggèrent des mouvements de populations entre la péninsule arabique et la corne de l’Afrique entre 6 et 10.000 ans. Les tests du chromosome Y suggèrent au moins 2 migrations vers la corne de l’Afrique: l’expansion de l’haplogroupe E-M78 est arrivé dans la corne de l’Afrique il y a environ 6.000 ans en provenance d’Afrique du Nord accompagné de flux non Africains. L’haplogroupe T est originaire du Levant il y a environ 21.000 ans. Sa sous-clade T-M70 est arrivée en Afrique du nord-est il y a 14.000 ans et dans la corne de l’Afrique il y a 5.000 ans.

Afin de mieux étudier cet écart entre les données archéologiques et les données génétiques, les auteurs de ce papier ont analysé l’ADN autosomal de 61 échantillons originaires du Yémen. Ces données ont été comparées à des données génétiques préalablement obtenues dans la corne de l’Afrique, le Moyen Orient, l’Afrique du Nord, le Qatar, l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Ouest, le projet HapMap3, et le projet Human Genome Diversity. Le total des échantillons représentent 2194 individus appartenant à 81 populations, analysés sur 16.766 SNPs autosomaux.

Une analyse en Positionnement Multidimensionnel a été réalisée. La première dimension sépare les les Africains sub-sahariens des non Africains:
2014 Hodgson Figure 1a

Ensuite, les auteurs ont effectué un zoom sur les populations de la corne de l’Afrique uniquement:
2014 Hodgson Figure 1b

Les différents regroupements des échantillons sur ce graphe correspondent à des groupes linguistiques: les Gumuz parlent une langue Nilotique, les Ari et Wolayta parlent une langue Omotique, et les autres groupes parlent des langues Couchitiques ou Sémitiques. La dispersion de ces groupes entre les Africains sub-sahariens et les non Africains suggèrent différents mélanges génétiques entre des Africains et des non Africains.

Afin de mieux comprendre la structure génétique de ces populations, les auteurs ont utilisé le modèle implémenté dans le logiciel ADMIXTURE pour des valeurs de K comprises entre 2 et 20. Le modèle est optimal pour une valeur de K=12, avec cependant peu de différences pour une valeur de K comprise entre 9 et 14. Si on se focalise sur les valeurs de K de 10, 11 et 12 ont voit des choses particulièrement intéressantes:
2014 Hodgson Figure 2a

  • Il y a 4 composantes dominantes dans les populations sub-sahariennes: une est à hautes fréquences chez les pygmées Mbuti et Biaka en rose, une à hautes fréquences chez les Khoesan d’Afrique du sud en violet clair, une à hautes fréquences chez les populations parlant le Niger-Congo en bleu foncé, et une à hautes fréquences chez les populations parlant le Nilo-Saharien en bleu clair.
  • Il y a 5 composantes dominantes dans les populations eurasiennes: une est à hautes fréquences en Asie Centrale et du Sud en rouge, une à hautes fréquences chez les européens en orange clair, une à hautes fréquences en Europe du Sud, au Moyen-Orient et en Asie Centrale en orange foncé, une à hautes fréquences dans la péninsule arabique en marron, et une à hautes fréquences en Asie Centrale en gris.
  • Une dixième composante est colorée en vert clair et est à hautes fréquences en Afrique du Nord.

Entre les valeurs de K de 10 à 12, les changements interviennent dans les populations de la corne de l’Afrique. Pour une valeur de K=10, la corne de l’Afrique est dominée par la composante Nilo-Saharienne. A K=11, une nouvelle composante colorée en violet foncé apparait, appelée Ethiopique. Cette composante est maximale dans le groupe des populations Ari et Wolayta parlant un langage Omotique. Pour une valeur de K=12, une nouvelle composante apparait colorée en vert foncé, appelée Ethio-Somalienne. Cette composante est maximale dans les populations Somaliennes parlant un langage Couchitique, mais est également importante dans toutes les populations parlant un langage Couchitique ou Sémitique:
2014 Hodgson Figure 2c

Des tests supplémentaires de statistique f3, de statistique D et de tests LD pondérés montrent que 8 populations de la corne de l’Afrique (Afar, Amhara, Ari Cultivator, Oromo, Ethiopian Somali, Somali, Tygray, et Wolayta) présentent un mélange génétique significatif avec des populations non Africaines. Ces résultats suggèrent les hypothèses suivantes:

  • l’ascendance des populations de la corne de l’Afrique est proche de celle des populations Nilo-Sahariennes
  • il y a une ascendance africaine distincte présente dans les populations de la corne de l’Afrique: la composante Ethiopique
  • les populations de la corne de l’Afrique ont une ascendance non Africaine proche des populations de la péninsule arabique et une autre proche des populations du Maghreb
  • il y a une ascendance non africaine spécifique dans les populations de la corne de l’Afrique: la composante Ethio-Somalienne.

L’estimation de la date des mélanges génétiques a été fait avec les méthodes ROLLOFF et ALDER. Les valeurs obtenues sont situées entre 2000 et 3000 ans. Cependant, si dans la réalité plusieurs épisodes de mélanges génétiques ont eu lieu, ces méthodes estiment seulement l’épisode le plus récent. Or l’analyse avec le logiciel ADMIXTURE, montre que la composante Ethiopique se retrouve à hautes fréquences dans toutes les populations de la corne de l’Afrique. Elle doit probablement être la plus ancienne. Ensuite la composante Nilo-Saharienne se retrouve dans toutes les populations sauf les Ari Blacksmiths. Enfin la composante Ethio-Somalienne se retrouve dans toutes les populations parlant un langage Couchitique, Sémitique, ou Omotique. Les composantes Arabes, Eurasienne et Niger-Congo sont respectivement de moins en moins largement distribués parmi les populations de la corne de l’Afrique.

Les dates de divergence entre les différentes composantes ont été estimées. Ainsi la composante Ethio-Somalienne est estimée avoir divergé avec les autres composantes il y a environ 23.000 ans. Cette composante ne contient pas l’allèle de tolérance au lactose incluse dans la composante Arabe et qui a émergé il y a environ 4000 ans. Le mélange génétique correspondant à la composante Ethio-Somalienne correspond donc à l’arrivée d’une population non Africaine dans la corne de l’Afrique à une date située entre 23.000 et 4.000 ans. Elle a été suivie par l’arrivée d’une autre population non Africaine en provenance de la péninsule arabique apportant la tolérance au lactose et les langages sémitiques il y a environ 3000 ans.

L’agriculture est arrivée dans la corne de l’Afrique il y a au moins 7000 ans. La population devait être déjà élevée à cette époque. Pour que l’influence de la migration Ethio-Somalienne soit suffisamment importante, on suppose qu’elle est arrivée à une date correspondant à une population de faible importance et donc située avant le néolithique. Les données paléo-climatiques indiquent que cette migration a du arriver soit avant le Dernier Maximum Glaciaire situé il y a environ 21.500 ans, soit entre le Dernier Maximum Glaciaire et le Dryas récent situé il y a environ 12.000 ans.

La composante Maghrébine dans la population d’Afrique du Nord correspond également à une migration correspondant à un retour en Afrique d’une population ouest asiatique. Une unique migration préhistorique conduisant à l’arrivée de la composante Maghrébine en Afrique du Nord et à l’arrivée de la composante Ethio-Somalienne dans la corne de l’Afrique est la solution la plus parcimonieuse. Les lignages mitochondriaux M1 et U6 pourraient correspondre à cette migration. U6 est situé principalement au Maghreb et M1 dans la corne de l’Afrique. Cependant, récemment une étude a montré que ces deux haplogroupes ont suivi une histoire différente, la migration U6 étant antérieur d’environ 10.000 ans à la migration M1.

En résumé, la majorité de l’ascendance non Africaine des populations de la corne de l’Afrique vient d’une composante Ethio-Somalienne qui se retrouve principalement dans les populations parlant une langue Couchitique ou Sémitique. Cette arrivée est datée du paléolithique et pourrait correspondre à l’arrivée des langues Afro-Asiatiques. Une migration plus récente datée d’environ 3000 ans expliquerait l’arrivée des langages Ethiosémitiques dans la corne de l’Afrique.