On ne peut pas aborder la question du traité d’Utrecht, signé en avril 1713 aux Pays-Bas, sans remonter plus loin. Tout commence en 1343 avec une charte signée entre le dauphin Humbert II et les Briançonnais. Celle-ci stipule que “Ledit Seigneur Dauphin a voulu accorder auxdites communautés le pouvoir et la faculté de s’imposer elles-mêmes… avec liberté de s’assembler pour leurs nécessités”. Une entité politique et géographique voit le jour. 51 communautés sont réparties en cinq escartons (de Briançon, du Queyras, d’Oulx, de Pragelas et de Château-Dauphin). Toutes dépendent encore de la souveraineté française, mais avec ce privilège de pouvoir s’imposer elles-mêmes.
Au début du XVIII e siècle, tout bascule. Ces communautés vont être divisées. Certaines resteront au roi de France. D’autres iront au duc de Savoie. On parle de la cession des vallées françaises. En contrepartie, le roi de France récupère la vallée de Barcelonnette.
Les populations soulagées parce qu’il n’y a plus de guerre
« Les populations, quand on lit les archives, étaient soulagées que ce traité de paix soit enfin signé », explique Isabelle Fouilloy, conservateur en chef et directrice du service du patrimoine de la ville de Briançon. Mais une entente comprend ses revers. Utrecht engendre aussi « la perte de vallées “riches” pour le royaume de France et ayant toujours eu beaucoup de liens entre elles, de part et d’autre de l’actuelle frontière. Des familles se sont alors retrouvées coupées en deux ».
Les populations avaient été considérablement affaiblies par les années de conflit qui avaient précédé la signature du traité. En 1709, l’hiver est très dur. À court de foin, indispensable pour le déplacement des troupes, l’intendant du Dauphiné donne l’ordre de réquisitionner l’ensemble du foin des Briançonnais qui vont beaucoup en souffrir. « Le traité a contenté le peuple car il n’y avait plus de guerre, même si on perd énormément en territoire », résume Isabelle Fouilloy.
Français et Italiens ensemble pour célébrer l’anniversaire
Utrecht dessine les frontières telles qu’on les connaît. Mais aujourd’hui, Italiens et Français travaillent main dans la main pour commémorer le passé des Escartons et la signature de ce traité de paix aux conséquences si importantes pour les siècles qui ont suivi. Les communes de Chiomonte (Italie) et de Briançon s’associent pour un colloque scientifique franco-italien autour d’Utrecht. Aujourd’hui, c’est en Italie que ça se passe. Demain, ce sera à Briançon. Le dénominateur commun, Utrecht comme frontière de la paix. « Ce colloque coïncide avec le cinquième anniversaire de l’inscription des fortifications de Vauban au patrimoine mondial de l’Unesco », conclut Isabelle Fouilloy. Unesco qui est le symbole de la paix également.
Singulière histoire que celle du fort d’Exilles. Situé non loin de la frontière (à une dizaine de km d’Oulx), il n’aura de cesse de passer des mains de la France à celles de la Savoie.
La première tour lombarde sera détruite au VII e siècle par les Francs. Un château fort sera édifié sur l’éperon rocheux au XII e. En position avancée sur le versant italien, il sera constamment agrandi et modifié par les ingénieurs des rois de France.
En 1593, le fort devient la propriété de Charles-Emmanuel I er de Savoie, qui profite des guerres de religion pour s’en emparer. Retour à la France quelques années plus tard.
Les Français vont encore le modifier (création des bastions), avant que le fort d’Exilles ne soit repris par la Savoie en 1708 et cédé définitivement par le traité d’Utrecht.
Il est alors tourné contre la France. Des travaux de renforcement des fortifications sont entrepris jusqu’en 1780. Mais les armées révolutionnaires s’en emparent en 1794. Jugé menaçant, il est détruit en 1800 mais sera reconstruit dans la foulée par les Italiens pour contenir une possible menace de la France post-révolutionnaire.
Laurent Surmely préside la Sabènça de la Valèia à Barcelonnette. Passionné d’histoire, il s’est intéressé aux escartons et au traité d’Utrecht. L’association a organisé, en septembre, avec la maison-musée de Colmars-les-Alpes et l’écomusée de Puget-Rostang, un colloque intitulé “Utrecht, au cœur des Alpes”.
« Utrecht rattache Barcelonnette aux vallées françaises », remarque le président de l’association. « Que dire si ce n’est qu’à l’époque, ce n’est pas une révolution. Les populations n’étaient pas aussi figées dans la ruralité qu’on peut l’imaginer et les relations entre les vallées se sont poursuivies. La frontière n’a pas été un obstacle avant le XIX e siècle et les nouvelles fortifications. »
Avant la moitié du XIX e siècle, la frontière se franchit sans encombre. Mais au milieu de ce siècle et avec le progrès des transports et des axes routiers, la frontière au sens où on la connaît se dessine. « Les relations entre la vallée de Barcelonnette et la France se renforcent mais elles existaient déjà. On sait que le vin venait de Remollon alors que Barcelonnette était une vallée de Savoie. Elle dépendait du diocèse d’Embrun, même si c’était une vallée de Savoie. Avec le temps, la gare la plus proche deviendra celle de Prunières et les échanges seront renforcés avec ce côté-ci des Alpes. »
Mais auparavant, « les relations avec les villages de l’autre côté du col étaient riches », ajoute Laurent Surmely. Ce qui se passait ici se passait aussi dans le Briançonnais et le Queyras. Les montagnards de l’époque sont aussi des marchands. Ils bougent beaucoup. Le Piémont est le plus gros producteur au monde de cocons de soie au XVII e. Les relations se font entre Turin, Barcelonnette, Briançon, Grenoble ou Lyon, qui est alors le deuxième marché du royaume. »
en dates
1343, le 29 mai.
Signature de la charte des Escartons par le seigneur Humbert II, dauphin de Viennois, prince de Briançonnais, marquis de Césane. Par cette charte et moyennant une rente annuelle de 4000 ducats d’or pour l’ensemble de la principauté, le dauphin “se démet de tous ses droits seigneuriaux sur les fiefs qui lui appartiennent ou pourront appartenir à ses successeurs”. Les Briançonnais pourront “se réunir pour s’imposer et s’imposer sans avoir à rendre de comptes”.
n 1700, 1 er novembre.
Décès de Charles II d’Espagne. Le roi n’a pas de descendance et, par testament, fait du petit-fils de Louis XIV le prochain roi d’Espagne. L’empereur Léopold I er (Belgique) conteste immédiatement les droits de Philippe V à la succession. Ainsi débute la guerre de Succession (1701-1714) à laquelle mettra fin le traité.